Il y a tout juste un an, Aleph Alpha affichait de grandes ambitions. La start-up allemande, spécialisée dans l’intelligence artificielle générative, officialisait alors une importante levée de fonds, d’un montant record en Europe de 500 millions de dollars. De quoi, espéraient ses dirigeants, s’imposer comme une véritable alternative européenne aux géants américains du secteur, comme OpenAI et Google. Mais à peine douze mois plus tard, leurs illusions se sont fracassées sur la réalité financière. Distancée dans la course aux investissements, nécessaires pour louer de la puissance informatique dans le cloud, la jeune entreprise vient de renoncer à concevoir ses propres grands modèles de langage. Elle se contentera désormais de proposer un “système d’exploitation” permettant de piloter le déploiement de l’IA dans les entreprises.
Superlatifs – Fondée en 2019 par Jonas Andrulis, ancien chercheur en IA chez Apple, Aleph Alpha est sortie de l’ombre suite au spectaculaire lancement de ChatGPT. Très vite, la société est considérée comme l’une des deux “pépites” européennes de l’IA générative, avec la start-up française Mistral AI. Elle a déjà prouvé son expertise, lançant au printemps 2022 un modèle de langage, baptisé Luminous. Mais elle profite surtout de l’empressement des Européens à mettre en avant des champions locaux, capables de rivaliser avec OpenAI. En Allemagne, Aleph Alpha est ainsi propulsé sur le devant de la scène. La presse multiplie les superlatifs. Ses dirigeants s’affichent auprès du chancelier et du ministre de l’Économie. Et de grands groupes allemands, comme SAP, Bosch et la maison mère de Lidl, se bousculent pour entrer dans son capital.
Report – En interne pourtant, la crise couve déjà. Les objectifs de chiffre d’affaires ne sont pas atteints. En 2023, les revenus n’ont pas dépassé la barre du million d’euros, six fois moins que prévu. Ils devraient atteindre 20 millions cette année. Son positionnement sur les “valeurs européennes”, comme la transparence et la vie privée, pèse bien peu. La société paie le report de ses nouveaux modèles, un handicap rédhibitoire sur un secteur qui avance à toute vitesse. Elle a pourtant massivement embauché, triplant ses effectifs en un an. Mais elle a aussi connu des remous au sein de ses équipes. En outre, Aleph Alpha a été pénalisée par son choix de se concentrer sur le marché allemand, qui représente plus de 90% de son activité, plutôt que de cibler des pays qui adoptent plus rapidement de nouvelles technologies.
Bourse de recherche – “Avoir un modèle de langage européen n’est pas un modèle économique suffisant”, reconnaissait, comme un aveu d’échec en septembre Jonas Andrulis, interrogé par Bloomberg. Le mois dernier, il regrettait des “intérêts stratégiques qui perturbent le marché”: ceux des géants de la tech qui veulent consolider leur position dominante, sans nécessairement chercher un retour sur investissement. À ces difficultés s’ajoute une situation financière pas aussi radieuse que présentée. Sur les 500 millions de dollars récoltés, deux tiers proviennent d’une bourse de recherche dont le versement est réparti sur dix ans. Et 10% correspondent à des avances sur chiffre d’affaires. Dans ses caisses, Aleph Alpha ne dispose donc pas des sommes nécessaires pour continuer à investir dans des modèles. Et ainsi préserver ses illusions.
Pour aller plus loin:
– Face à OpenAI, Mistral AI abandonne (en partie) l’open source
– Dans l’IA, des start-up prometteuses sont devenues des start-up zombies