L’interruption n’aura duré que quelques heures. Dimanche après-midi, l’accès à TikTok a été rétabli aux États-Unis après un message de Donald Trump. Celui-ci avait été interrompu samedi soir, juste avant l’entrée en vigueur d’une loi interdisant l’application de courtes vidéos, faute d’avoir été cédée à temps par ByteDance, sa maison mère chinoise. Le nouveau locataire de la Maison Blanche, qui prend ses fonctions ce lundi, a promis de publier un décret accordant un délai supplémentaire. Et indiquant que le gouvernement ne poursuivrait pas en justice les entreprises permettant à la plateforme de fonctionner. Le retour de TikTok pourrait cependant n’être que de courte durée. En effet, le président américain ne possède pas l’autorité nécessaire pour suspendre l’application d’une loi votée par le Congrès américain par un simple décret.
Sécurité nationale – Adoptée en avril après une habile manœuvre parlementaire, la législation demande à ByteDance de se séparer de la branche américaine de TikTok avant le 19 janvier. Ce texte, qui fait suite à plusieurs tentatives ratées, a été soutenu par des élus démocrates et républicains, qui estiment que l’application représente un risque pour la sécurité nationale, permettant à Pékin de collecter massivement des données ou d’influencer l’opinion publique en donnant davantage de visibilité à certains contenus. Aucune preuve concrète n’a cependant été rendue publique. Faute de cession, la loi n’interdit pas directement la plateforme. Mais elle interdit aux entreprises de lui permettre d’opérer aux États-Unis. Cela concerne les boutiques App Store et Google Play, mais aussi Oracle, qui héberge les données de TikTok dans le cloud.
Échec devant la Cour suprême – Pendant neuf mois, TikTok a tenté de faire annuler la loi, estimant qu’elle était contraire au premier amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d’expression. La société soulignait que sa maison mère est majoritairement détenue par des investisseurs internationaux. Et elle mettait en avant son projet Texas, qui vise à stocker les données des utilisateurs américains aux États-Unis. Mais elle a été déboutée en décembre par la justice. Une décision confirmée vendredi par la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays. À l’unanimité, ses neuf juges ont en effet estimé que “les préoccupations bien étayées en matière de sécurité nationale concernant les pratiques de collecte de données de TikTok et ses relations avec un adversaire étranger” permettaient bien au Congrès d’agir.
Aucune démarche – Depuis avril, la voie judiciaire a été la seule envisagée par les dirigeants de ByteDance. À plusieurs reprises, ils ont ainsi assuré n’avoir aucune intention de céder les activités américaines de TikTok. Ils s’estimaient probablement protégés par le premier amendement, comme cela avait été le cas, fin 2020, lorsque l’administration Trump avait tenté d’interdire l’application. Ou lorsqu’une loi avait été votée dans le Montana. Ils suivaient aussi peut-être les directives de Pékin, qui peut s’opposer à la vente de l’algorithme. Et qui pourrait disposer d’un droit de veto dans le cadre d’une golden share. Dans ces conditions, aucune démarche n’a été lancée pour respecter la loi en cas d’échec en justice. Aucune discussion avec de potentiels acheteurs. Aucune préparation non plus pour une introduction en Bourse.
850 milliards de dollars – Donald Trump se voit donc en sauveur de TikTok – et de ses 170 millions d’adeptes américains. Par opportunisme politique, alors que ByteDance a tout fait pour faire porter la responsabilité de son interdiction sur l’administration Biden. Et, peut-être, parce que l’un de ses principaux donateurs, également actionnaire de ByteDance, a beaucoup à perdre. Sa marge de manœuvre est cependant limitée. Malgré le décret qu’il va signer, l’interdiction de la plateforme restera en vigueur. Ses promesses ont été suffisantes pour convaincre Oracle, dont le patron Larry Ellison est un de ses proches. Elles n’ont en revanche pas rassuré Apple et Google, qui n’ont pas encore réintégré l’application sur leur boutique. La loi prévoit une amende de 5.000 dollars par utilisateur, soit potentiellement 850 milliards.
Washington actionnaire ? – C’est donc une période de grande incertitude juridique qui vient de s’ouvrir. Et il n’est pas certain qu’Oracle accepte bien longtemps de prendre de gros risques financiers. À court terme, la survie de TikTok repose davantage sur le vote d’une nouvelle loi au Congrès. Mis devant la potentielle fermeture de l’application, plusieurs parlementaires ayant voté le précédent texte militent désormais pour lui accorder un délai supplémentaire. Mais une première initiative a rapidement été écartée par la majorité républicaine à la Chambre. À plus long terme, le retour définitif de TikTok aux États-Unis passera vraisemblablement par une vente, une introduction en Bourse ou une cession aux investisseurs non chinois de ByteDance. Donald Trump milite, lui, pour une prise de participation de 50% du gouvernement américain.
Pour aller plus loin:
– Comment un milliardaire américain a sauvé TikTok
– ByteDance, la maison mère de TikTok, rattrape Meta