Par , publié le 29 janvier 2024

Dans l’application des lois, il y a toujours l’esprit et la lettre. S’il est encore trop tôt pour savoir si Apple respecte bien le Digital Markets Act à la lettre – ce sera à Bruxelles d’en juger ces prochains mois – , les changements qu’il a annoncés la semaine dernière ne s’inscrivent certainement pas dans l’esprit de cette nouvelle réglementation européenne, qui vise à renforcer la concurrence dans le numérique. Certes, le groupe à la pomme va desserrer, contraint et forcé, son emprise sur son système iOS, qui équipe ses iPhone. Mais il souhaite aussi imposer de nouvelles commissions pour les développeurs qui voudraient passer par d’autres boutiques d’applications. Objectif : les dissuader de le faire. Et ainsi préserver au maximum le statu quo qui lui permet d’engranger des milliards d’euros de profits chaque année.

Pas une surprise – L’attitude d’Apple n’est pas une surprise compte tenu de ses habitudes. Sans compter que toutes les entreprises visées par le DMA cherchent à limiter l’impact sur leur chiffre d’affaires. La société de Cupertino profite également de l’absence de règles claires dans le texte européen, qui laisse les géants du numérique, baptisés “contrôleurs d’accès”, décider eux-mêmes des modifications à adopter pour se mettre en conformité. Sur ce point, Apple pourra souligner qu’il a bien intégré les principales mesures du DMA concernant les applications mobiles. Deux en particulier. D’une part, l’autorisation des boutiques tierces, qui met, sur le papier, fin au monopole de son App Store sur la distribution d’applications. Et d’autre part, la possibilité pour les développeurs de ne plus utiliser son système de paiement.

Choix irrévocable – Pour contrecarrer le DMA, Apple veut désormais proposer un choix aux développeurs. Soit conserver le système actuel. Soit opter pour un nouveau, permettant d’utiliser d’autres magasins et d’autres plateformes de paiement. En échange, la société facturera 50 centimes par téléchargement (mises à jour incluses), au-delà de la barre du million. Pour les applications installées depuis une autre boutique, aucune commission ne sera ensuite prélevée sur les achats et abonnements in app. Mais Apple captera 10% ou 17% pour celles téléchargées depuis l’App Store. Conséquence: de nombreux développeurs devront, en réalité, verser davantage. En outre, leur choix sera irrévocable. Un moyen de susciter la peur face à l’incertitude liée aux coûts du nouveau système. Et donc de les inciter à le refuser.

Rivaux pénalisés – Cette structure est aussi conçue pour dissuader les développeurs d’applications gratuites et sans achat in app à adopter le nouveau système, qui se traduirait par des coûts additionnels. Un handicap de taille pour les nouvelles boutiques qui ne pourront pas véritablement rivaliser, faute de pouvoir proposer une sélection suffisamment exhaustive. En outre, les sociétés souhaitant lancer un concurrent de l’App Store devront faire une demande d’autorisation, dont les critères n’ont pas été précisés. Apple donnera-t-il, par exemple, son feu vert au projet de magasin d’Epic Games, l’éditeur de Fortnite avec lequel il est en guerre depuis plusieurs années ? Le groupe n’autorise, par ailleurs, pas les téléchargements directs depuis une autre application, comme l’imagine Meta, ou depuis un site Internet.

Vers une enquête de Bruxelles ? – Apple justifie ces restrictions par la nécessité de lutter contre les applications frauduleuses. Et donc d’assurer la sécurité de ses utilisateurs – un élément d’ailleurs pris en compte par le DMA. La commission sur les installations est expliquée par la volonté de faire de participer financièrement les développeurs au développement technologique d’iOS, dont ils profitent pour générer du chiffre d’affaires. Des arguments qui ne convainquent pas les détracteurs du groupe – comme Tim Sweeney, le patron d’Epic, ou Daniel Ek, celui de Spotify –, vent debout contre ces changements. Et il semble inimaginable que Bruxelles n’ouvre pas, a minima, une enquête. Car c’est la crédibilité du DMA qui est déjà menacée si Apple peut si facilement déjouer les objectifs du texte… avant même son entrée en vigueur.

Pour aller plus loin:
– Aux États-Unis, Apple va devoir modifier les règles de son App Store
– Pourquoi iMessage se retrouve au coeur d’une bataille de lobbying à Bruxelles


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