Dix jours après son arrestation à l’aéroport du Bourget, Pavel Durov doit désormais gérer Telegram depuis la France, à près de 7.000 kilomètres de Dubaï où l’application de messagerie est installée. Mis en examen et remis en liberté sous contrôle judiciaire, le milliardaire d’origine russe, qui possède aussi la nationalité française, est notamment accusé de complicité de diffusion d’images pédopornographiques, de complicité de trafic de stupéfiants et de blanchiment de crimes. Des infractions très lourdes qui s’expliquent par son refus de communiquer à la justice des informations sur des utilisateurs suspectés d’un crime. Telegram assure ne l’avoir jamais fait, ni en France ni ailleurs. Une ligne qui menace désormais son fondateur – il risque jusqu’à dix ans de prison. Et qui pourrait également fragiliser son avenir.
Réseaux criminels – Lancée en 2013, Telegram revendique près d’un milliard d’utilisateurs mensuels dans le monde. Son succès s’explique en partie par la protection des données personnelles, qui ne sont pas partagées à des fins publicitaires. Il vient aussi de son laxisme en matière de modération des chaînes publiques, où se propagent théories du complot et messages haineux. L’application de messagerie est également plébiscitée par les réseaux criminels. Son nom revient d’ailleurs régulièrement dans des affaires de pédocriminalité, de vente de stupéfiants ou de terrorisme. Et pour cause: la société se vante de ne pas collaborer avec des gouvernements, expliquant avoir trouvé une parade: les données des conversations sont stockées dans plusieurs pays, ce qui nécessiterait des injonctions d’autant de juridictions.
Ciblé par le DSA ? – La procédure française marque un tournant pour Telegram. Et elle pourrait pousser l’Union européenne à agir. La semaine dernière, Bruxelles a lancé une enquête pour déterminer si l’application n’a pas sous-estimé volontairement son nombre d’utilisateurs sur le continent pour ne pas être considérée comme une “très grande plateforme” par le Digital Services Act. Elle échappe ainsi aux règles les plus strictes de cette réglementation, qui vise notamment à renforcer la modération. En outre, elle n’est pas surveillée directement par la Commission, en pointe pour faire appliquer le DSA, mais par l’IBPT, le régulateur belge des télécoms qui dispose de moins de moyens. La société risque de lourdes amendes. Et elle pourrait être contrainte d’investir dans la modération des contenus illégaux, sous peine d’être interdite en Europe.
Fragilité économique – Les ennuis judiciaires de Pavel Durov remettent aussi en question l’avenir économique de Telegram. En début d’année, le milliardaire avait expliqué préparer une prochaine introduction en Bourse, potentiellement sur la base d’une valorisation de 30 milliards de dollars. Un niveau très élevé par rapport à un chiffre d’affaires de 342 millions l’an passé. D’autant plus que les pertes sont très élevées – 173 millions en 2023, selon des chiffres obtenus par le Financial Times. Cette opération est capitale, car elle doit permettre d’effacer la dette en convertissant des obligations en actions. Les montants en jeu sont importants: 2,4 milliards de dollars, qu’il faudra rembourser si Telegram ne rejoint pas les marchés avant mars 2026. Or, la situation actuelle va grandement compliquer une introduction.
Pour aller plus loin:
– Telegram continue de s’endetter avant une potentielle introduction en Bourse
– L’Allemagne menace d’interdire Telegram