À première vue, les chiffres semblent très positifs, témoignant d’un rebond tant espéré des levées de fonds. Au premier trimestre, les start-up mondiales ont recueilli 121 milliards de dollars (110 milliards d’euros), selon les décomptes du cabinet CB Insights. C’est presque deux fois plus que l’an passé. Et la meilleure performance trimestrielle depuis le printemps 2022 – derniers instants de la période d’euphorie post-Covid qui a été suivie par une chute brutale, précipitée par le resserrement des politiques monétaires pour lutter contre l’inflation. En réalité cependant, cette bonne santé apparente, qui avait commencé à se matérialiser fin 2024, n’est qu’un trompe-l’œil. Elle est surtout dopée par quelques gigantesques tours de table dans l’intelligence artificielle générative, à l’image de celui annoncé il y a dix jours par OpenAI.
OpenAI embellit les chiffres – À elle seule, la levée de fonds de 40 milliards de dollars (dont la moitié est cependant conditionnée à un changement de statut juridique d’ici à la fin de l’année) du concepteur de ChatGPT représente un tiers du montant récupéré par l’ensemble des start-up sur les trois premiers mois de l’année. Cette opération historique, dont le montant est trois fois plus élevé que le précédent record, rend ainsi les chiffres publiés par CB Insights bien plus impressionnants qu’ils ne le sont véritablement. Si son officialisation avait eu lieu le 1er avril, et non le 31 mars, la croissance des levées de fonds aurait été ramenée à seulement 25%. Même chose pour le montant moyen des tours de table, qui a dépassé les 20 millions de dollars au premier trimestre, du jamais vu. En excluant OpenAI, celui-ci est inférieur à 14 millions.
55% pour l’IA – D’autres acteurs de l’IA ont aussi tiré les chiffres vers le haut. Sur le trimestre, le secteur a levé 67 milliards de dollars, soit 55% des investissements, contre seulement 24% l’an passé. Quatre entreprises ont capté deux tiers de cette somme: OpenAI; son grand rival Anthropic; Grok, la start-up d’IA d’Elon Musk; et Safe Superintelligence, lancée par Ilya Sutskever, l’ex directeur scientifique d’OpenAI. Hors IA, les autres domaine d’activité affichent une croissance limitée de 10%. Et ils accusent une chute de 60% par rapport au premier trimestre 2022. Autrement dit: l’essor de l’IA générative cache les difficultés persistantes des autres start-up. Ce phénomène est parfaitement illustré par la situation française: en l’absence d’une levée de fonds de Mistral AI ou de H, les montants ont reculé de 17% sur le trimestre.
Chute du nombre de levées – Dans le sillage des géants de l’IA générative, les financements sont de plus en plus concentrés sur un nombre limité de start-up. Sur les trois premiers mois de l’année, 70% des montants récoltés l’ont ainsi été lors de 145 “méga-levées”, supérieures à 100 millions de dollars. Un chiffre inédit. À titre de comparaison, 390 “méga-levées” avaient capté 52% des investissements il y a trois ans. L’an passé, ces tours de table ne représentaient que 46% du total. Autre signe préoccupant: le repli ininterrompu du nombre d’opérations depuis l’automne 2021. Entre janvier et mars, CB Insights n’en a comptabilisé que 5.446, contre 8.140 l’an passé. Par rapport à 2022, la chute est encore plus spectaculaire: à l’époque, 14.636 levées de fonds avaient été menées. Ce chiffre est au bas plus depuis au moins 2018.
Pour aller plus loin:
– Pour la French Tech, l’année 2024 n’a pas été celle du rebond espéré
– OpenAI va lever jusqu’à 40 milliards de dollars, un record