“Quand on lève 220 millions d’euros, on est forcément plus observé”. Gautier Cloix préfère dédramatiser les débuts particulièrement mouvementés de H. Un an et demi après son lancement, la start-up française, spécialisée dans l’intelligence artificielle générative, a davantage fait parler d’elle pour ses turbulences internes que pour ses avancées technologiques. Et pour cause: quatre de ses cinq fondateurs ne sont plus là, dont son directeur général poussé vers la sortie l’an dernier.
Dans les bureaux du neuvième arrondissement parisien, l’heure n’est plus à ressasser le passé pour le nouveau patron de H, mais à penser à l’avenir. Celui-ci passe par l’IA agentique, devenue l’une des priorités chez tous les grands acteurs du secteur. Et plus particulièrement par les agents dits “computer use”, qui peuvent prendre le contrôle d’un ordinateur pour accomplir des tâches depuis un navigateur ou un logiciel, comme le ferait un humain.
Vague de départs
Lancée fin 2023 sous le nom d’Holostic AI, H incarne une époque où des start-up d’IA générative peuvent recueillir des sommes considérables avant même d’avoir conçu le moindre produit. À peine créée, elle mène ainsi la plus importante levée de fonds en amorçage jamais réalisée en Europe: 220 millions de dollars, deux fois plus que Mistral AI. Plus que son idée, c’est le CV de ses cofondateurs qui attire les investisseurs: quatre d’entre eux viennent de DeepMind, le prestigieux laboratoire d’IA de Google.
Parmi eux: Laurent Sifre, qui a contribué au développement d’AlphaGo, une IA capable de battre les meilleurs joueurs de go. Nommé directeur technologique de la start-up, il est aujourd’hui le dernier encore en poste. En août 2024, ses trois anciens collègues ont en effet claqué la porte, officiellement pour des “désaccords opérationnels et commerciaux”. Moins d’un an plus tard, ils ont été imités par le directeur général, pourtant à l’origine du projet, puis par le directeur opérationnel.
Arrivé cet été à la tête de H, Gautier Cloix a d’abord réorganisé les équipes, qui comptent aujourd’hui 75 personnes, dont une petite partie basée à Londres. Il a aussi enclenché la phase commerciale. Ancien directeur général en France de Palantir, il n’a pas hésité à reprendre certaines des recettes qui ont fait le succès du géant américain de l’analyse de données – notamment le déploiement d’ingénieurs directement chez les clients. Ni à débaucher chez son ancien employeur.
Quelques secondes

La start-up espère populariser une nouvelle génération d’agents d’IA. “L’approche traditionnelle consiste à connecter de grands modèles de langage à des systèmes existants via des API (interfaces de programmation, ndlr)”, explique Gautier Cloix. Cette méthode nécessite non seulement une longue configuration, mais impose également des usages prédéfinis à l’avance. “De nombreux flux de travail dans les entreprises ne peuvent pas être exécutés avec ce type d’agents”, assure le responsable.
À la place, H développe un agent baptisé Surfer H, capable de reproduire le comportement d’un employé. Il peut naviguer sur le web, cliquer sur des boutons ou saisir du texte. En théorie, il peut ainsi interagir avec n’importe quel logiciel utilisé dans une entreprise. “Pour une tâche qui nécessite vingt clics, le taux d’erreur est quasi nul, avance Gautier Cloix. Pour les tâches plus complexes, l’agent se trompe au départ, mais finit par réussir après plusieurs tentatives”.
Selon le directeur général de H, cette approche présente un avantage supplémentaire: elle permet de créer une multitude d’agents en quelques secondes, simplement en leur expliquant en langage naturel ce qu’ils doivent accomplir. De plus, n’importe quel employé d’une entreprise peut déployer un processus d’automatisation, sans passer par les équipes informatiques. “C’est presque aussi simple que d’utiliser ChatGPT”, explique-t-il.
Deux phases de tests
Si la start-up revendique une position unique, la concurrence approche. OpenAI, Google et Anthropic proposent déjà des agents similaires, mais uniquement en version test. Pas de quoi effrayer Gautier Cloix. “Nous avons une longueur d’avance et des chercheurs exceptionnels”, affirme-t-il, citant les résultats d’un benchmark de référence qui placent H en tête. Le dirigeant y voit même une opportunité: “Aujourd’hui, nous devons expliquer ce qu’est le computer use; demain, ces entreprises le feront à notre place.”
En attendant, H est en “discussions actives” avec une cinquantaine de très grandes entreprises, essentiellement françaises, mais aussi une dizaine de sociétés américaines. Parmi elles, “dix ou onze” sont aujourd’hui à un stade avancé, portant sur les cas d’usages potentiels de Surfer H. Deux sociétés françaises ont lancé des phases de tests – des PoC ou preuves de concept, dans le jargon – “symboliquement payantes”. Et une troisième devrait suivre très prochainement.
Pour convaincre ses futurs clients, H promet de s’attaquer à des “problèmes à cent millions d’euros”. Elle leur fait miroiter des gains de productivité et donc d’importantes économies, qui justifieront le coût des licences d’utilisation de ses agents. La société mise aussi beaucoup sur sa stratégie d’accompagnement, inspirée de Palantir, censée éviter tout blocage. “En cas de problème, trente chercheurs peuvent d’un seul coup interrompre ce qu’ils font pour le résoudre”, promet son patron.
Pour aller plus loin:
– Les ambitions de Kyutai, le laboratoire d’IA financé par Xavier Niel
– Mistral AI pulvérise les records de la French Tech

