Par , publié le 24 janvier 2024

Un mois après un accord tripartite obtenu au forceps, les responsables européens se retrouvent ce mercredi pour faire avancer l’AI Act, un projet de réglementation de l’intelligence artificielle. Et plus particulièrement des modèles d’IA générative, dont les progrès rapides suscitent de nombreuses inquiétudes. Le texte définitif, issu d’un compromis entre les représentants du Conseil, de la Commission et du Parlement, a été envoyé ce week-end, explique le média spécialisé Euractiv. Il est construit autour d’un principe de règles graduées, classant les modèles d’IA en trois catégories, selon leur taille et leur popularité. Seuls les modèles de “grande échelle”, qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs ou plus de 10.000 clients professionnels, seront touchés par les réglementations les plus strictes.

Opposition de la France – La présidence belge de l’Union européenne espère aboutir à une adoption par les représentants permanents des Vingt-Sept, lors de leur prochaine réunion qui aura lieu le 2 février. En cas d’accord, le texte pourra alors poursuivre son chemin législatif devant les eurodéputés. Avec une date butoir importante: les prochaines élections européennes de juin. La partie n’est cependant pas gagnée d’avance. Ces dernières semaines, la France cherche en effet à former une minorité de blocage – comme elle a réussi à le faire sur le projet de réglementation de l’Uber-économie. L’Allemagne et l’Italie ont aussi exprimé leurs réserves. Si les deux capitales suivent Paris, il suffira de convaincre un seul pays supplémentaire pour bloquer le texte. À défaut, la France tentera d’obtenir des concessions.

Modèles fondamentaux – Le gouvernement français réclame de ne pas réguler les modèles fondamentaux – comme les grands modèles de langage qui alimentent les chatbots et les modèles de diffusion qui propulsent les générateurs d’image. Paris souhaite seulement réglementer les services d’IA générative qui les utilisent, craignant de pénaliser les start-up du continent au profit des géants américains, qui disposeraient, eux, des moyens financiers et humains pour se mettre en conformité avec toutes les règles européennes. “C’est une vision équilibrée que nous portons”, indique-t-on dans l’entourage du Premier ministre. Une vision qui pourrait aussi avoir été influencée par un très proche d’Emmanuel Macron: Cédric O, ancien conseiller à l’Élysée puis ancien secrétaire d’État au numérique.

Cédric O, l’ex-ministre devenu lobbyiste

“Très forte influence” – Toujours un coq rouge sur le torse, et jamais le dernier à porter aux nues une start-up tricolore, Cédric O a été un secrétaire d’État adoré par la French Tech, jusqu’à son départ, volontaire, après les élections présidentielles de mai 2022. À peine deux mois plus tard, il a endossé sa nouvelle casquette, celle d’un conseiller en relations publiques, selon les statuts officiels de Nopeunteo, sa nouvelle société. En clair: celle d’un lobbyiste qui fait jouer son carnet d’adresse pour ses clients. C’est pour ces relations très haut placées que les trois fondateurs de Mistral AI, d’anciens chercheurs de Meta et de Google, lui ont proposé au printemps dernier un statut de “conseiller-fondateur”. “Il a une très forte influence sur le président de la République”, souligne la sénatrice Catherine Morin-Desailly.

176 euros investis – Dès son lancement, Mistral AI est devenu la nouvelle start-up vedette de la French Tech. La seule qui semble avoir une chance de rivaliser avec les groupes américains dans le domaine de l’intelligence artificielle générative. En rejoignant l’entreprise, Cédric O a reçu, via l’intermédiaire de sa société de conseil, 1,17% du capital. Son investissement de départ: 176,10 euros. Depuis, Mistral AI a mené deux levées de fonds. Et a vu sa valorisation atteindre deux milliards de dollars. Lors du dernier tour de table, annoncée en décembre, l’ancien ministre a revendu une partie de sa participation, empochant près d’un million d’euros, selon des documents consultés par Bloomberg. Le solde de ses actions vaut, selon nos calculs, encore environ 12 millions d’euros. Et potentiellement beaucoup plus dans quelques années.

Double casquette – Depuis son arrivée chez Mistral AI, Cédric O n’a cessé de s’opposer à l’AI Act. Il a été à l’origine d’une lettre ouverte signée par 150 dirigeants européens pour mettre en garde sur les conséquences négatives du texte. Avant d’assurer, dans un entretien accordé au site Sifted, que le projet pourrait “tuer Mistral”. En coulisses, l’ancien secrétaire d’Etat a aussi pesé de tout son poids pour influencer la position française. D’autant plus qu’il a intégré à l’automne le Comité de l’IA générative. Non pas en tant que dirigeant de Mistral AI, représenté par son directeur général Arthur Mensch, mais en tant que “consultant”. Un groupe de travail qui “effectue des recommandations d’actions mais ne prend aucune décision”, nuance Matignon. Mais cette double casquette ne fait que renforcer les suspicions de conflit d’intérêts.

Volte-face – Consultée en juin 2022, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique lui avait pourtant interdit “de réaliser toute démarche, y compris de représentation d’intérêts” auprès de ces anciens ministères. Pour éviter de demander un avis sur son entrée dans le capital de Mistral AI, Cédric O a rusé: les actions ont été achetées par sa société de conseil. Interrogée sur ce tour de passe-passe, la HATVP n’a pas souhaité s’exprimer. Pour sa défense, l’ex-ministre promet qu’il ne fait que protéger les intérêts des start-up françaises. Et il assure ne pas avoir changé d’avis sur la régulation, comme le lui reprochent les partisans de l’AI Act. Mais en mai 2022, alors qu’il était encore au gouvernement, la France avait bien proposé de réglementer les modèles fondamentaux, d’après des documents obtenus à l’époque par Politico.

Pour aller plus loin:
– L’Europe se déchire sur la régulation de l’IA générative
Mistral AI lève 385 millions d’euros pour son IA open source


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