Par , publié le 1 février 2024

À la tête d’Universal Music, Lucian Grainge est considéré comme la personnalité la plus puissante du monde de la musique. Après avoir fait plier YouTube en 2017 pour augmenter la rémunération des artistes, il se lance dans un nouveau bras de fer. Dans son viseur: TikTok, au cœur de nouvelles habitudes de consommation. Mercredi, la première maison de disques mondiale a laissé expirer l’accord de licence qu’elle avait conclu il y a trois ans avec la plateforme de courtes vidéos, faute d’avoir pu obtenir satisfaction sur le montant des royalties qu’elle perçoit. “TikTok a tenté de nous intimider pour que nous acceptions une offre inférieure à la précédente, bien en deçà de la juste valeur du marché et ne reflétant pas leur croissance exponentielle”, dénonce Universal, qui a donc décidé de retirer son immense catalogue de l’application.

Manque à gagner – Sauf retournement de dernière minute, plusieurs millions de chansons ne pourront donc plus être utilisées par les utilisateurs de TikTok comme fond sonore. Un doute subsiste encore sur le sort des vidéos déjà publiées, qui pourraient être retirées si Universal le demande. De nombreux artistes de renom sont concernés, comme Taylor Swift, Drake, Ariana Grande, Adele, The Weeknd, Elton John ou encore U2. Universal assure que l’impact financier direct sera négligeable, TikTok représentant seulement 1% de son chiffre d’affaires, soit environ 100 millions de dollars par an. Mais sa décision s’accompagne aussi un manque à gagner indirect, car la plateforme représente un formidable outil de découverte et de promotion qui peut faire grimper les écoutes, rémunérées, sur les plateformes de streaming.

Changement de modèle – C’est fort de cette position que TikTok aborde les négociations avec les maisons de disques. L’été dernier, la filiale du groupe chinois ByteDance avait noué un partenariat avec Warner Music, autre géant du secteur, dont le patron Robert Kyncl monte aussi régulièrement au créneau pour réclamer une meilleure rémunération. Le précédent accord avec Universal avait été conclu en 2017, quand TikTok ne comptait que 65 millions d’utilisateurs. Mais maintenant que l’application en attire plus d’un milliard, et qu’elle commence à monétiser cette immense audience, les dirigeants de la major espèrent imposer un changement de modèle. Au lieu de négocier une somme fixe pour permettre l’accès à son catalogue, ils militent pour des royalties à l’écoute, comme pour les plateformes de streaming.

Chansons générées par l’IA – L’échec des négociations intervient dans un contexte particulier. Les progrès de l’intelligence artificielle générative inquiètent fortement l’industrie du disque, qui redoute une chute de ses recettes. Universal est en pointe de ce combat, mettant à profit ses bonnes relations avec Spotify ou YouTube pour lutter contre la diffusion de chansons utilisant la voix de ses artistes. Selon la maison de disques, TikTok tente, au contraire, de profiter de la situation. Non seulement, la plateforme ne ferait rien pour éviter “d’être inondée” de titres générés par l’IA, proposant même des outils pour “faciliter, promouvoir et encourager” leur création. Mais elle chercherait aussi à inclure ces chansons dans le système de rémunération, ce qui reviendrait à “diluer massivement la part des artistes humains”.

Pour aller plus loin:
– Pourquoi Spotify et Deezer modifient le modèle de rémunération des artistes
– Comment l’intelligence artificielle bouscule l’industrie du disque


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