Par , publié le 17 avril 2024

“Il est important d’agir dès maintenant”, assure Sarah Cardell. Dans un discours prononcé la semaine dernière à Washington, la directrice de la Competition and Markets Authority britannique a appelé ses collègues à ne pas reproduire les erreurs du passé. Et donc à se pencher, avant qu’il ne soit trop tard, sur la situation concurrentielle dans le secteur de l’intelligence artificielle générative. “Un petit nombre de grandes entreprises technologiques déjà en position de force sur de nombreux marchés numériques pourraient façonner profondément ces nouveaux marchés au détriment d’une concurrence juste, ouverte et efficace”, redoute-elle. Dans son viseur notamment: un “réseau interconnecté” de plus de 90 partenariats et investissements stratégiques conclus entre des start-up et Microsoft, Google, Amazon ou encore Nvidia.

Microsoft en pionnier – Ces accords font partie des trois risques concurrentiels identifiés par la CMA. Ils prennent souvent la forme d’octroi de crédits cloud, permettant à une start-up d’entraîner ses modèles d’IA, une tâche qui requiert une immense puissance informatique. Ou encore d’accords de distribution, parfois exclusifs. La voie a été ouverte par Microsoft, qui a “investi” indirectement plus de dix milliards de dollars dans OpenAI, le concepteur du robot conversationnel ChatGPT. Depuis, le géant de Redmond est aussi entré dans le capital de la start-up française Mistral. Et il a mis la main sur les équipes d’Inflection AI, par l’intermédiaire d’une opération atypique. Google et Amazon ont injecté plusieurs milliards de dollars dans Anthropic.  Et Nvidia, qui fournit les indispensables cartes graphiques, a multiplié les prises de participation.

“Contrôle et influence” – Ces opérations, également étudiées par la Federal Trade Commission américaine et la Commission européenne, ne sont pas forcément négatives. Elles peuvent être un “élément essentiel au succès de développeurs indépendants”, reconnaît Sarah Cardell, en leur offrant les capacités financières ou technologiques dont ils ont besoin – et que peu d’acteurs peuvent leur fournir compte tenu des montants en jeu. Mais la patronne de la CMA craint aussi qu’elles ne se traduisent par “un contrôle et une influence” de ces grandes entreprises sur les principaux acteurs de l’IA, leur permettant non seulement d’influencer les choix stratégiques afin de protéger leurs positions existantes mais aussi  d’empêcher l’émergence de nouveaux géants du numérique, pouvant potentiellement rivaliser avec eux sur d’autres marchés.

Échapper aux règles – Ces partenariats représentent cependant un défi nouveau pour les autorités de la concurrence, habilitées à statuer sur des acquisitions et à juger l’impact d’une intégration verticale. D’abord, parce qu’ils sont volontairement “complexes et opaques”, souligne Sarah Cardell, obligeant les régulateurs à réclamer, obtenir puis étudier les bonnes informations. Ensuite, parce qu’ils ont été “structurés pour éviter de tomber dans le champ d’application des règles sur les acquisitions”. Autrement dit, les autorités ne disposeront pas nécessairement de l’arsenal juridique pour bloquer ou réguler ces arrangements, même si elles estiment qu’ils représentent une entrave à la concurrence. Premier élément de réponse attendu: l’issue de l’enquête lancée par la CMA sur le partenariat entre Microsoft et OpenAI.

Pour aller plus loin:
– Microsoft avale la start-up Inflection AI… sans la racheter
– Pourquoi Microsoft et OpenAI sont dans le collimateur des gendarmes antitrust


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