Par , publié le 28 septembre 2023

Lorsqu’elle était encore étudiante, Lina Khan s’était fait un nom dans le petit monde de l’antitrust en publiant un article juridique sur la position dominante d’Amazon, dans lequel elle démontrait que l’interprétation traditionnelle d’un monopole n’était plus adaptée. Six ans plus tard, la patronne de la Federal Trade Commission (FTC), la plus jeune de l’histoire à occuper ce poste, passe désormais à l’offensive. Mardi, le gendarme américain de la concurrence a officiellement déposé une plainte contre le géant du commerce en ligne, qu’il accuse d’abus de position dominante. Pour Lina Khan, c’est bien plus qu’une simple affaire, qui devrait l’occuper pendant de longs mois. La responsable joue probablement en grande partie son héritage à la tête de la FTC – qui a récemment été désavouée par la justice face à Microsoft et Meta.

Prix le plus bas – La plainte, déposée avec 17 États américains, est centrée autour de la marketplace d’Amazon, sa place de marché qui met en relation des marchands tiers et des acheteurs. Et qui représente désormais 60% de ses ventes. La FTC assure que le groupe de Seattle a mis en place des pratiques “illégales” afin de “bloquer la concurrence, freiner la croissance des rivaux et consolider sa domination”. Elle reproche en particulier à Amazon d’interdire implicitement aux marchands d’offrir des tarifs plus bas sur leur propre site ou sur d’autres plateformes, alors même que les commissions qu’il prélève sont les plus importantes du marché. Cela se traduit par des prix “artificiellement plus élevés” sur tous les sites. Et empêche l’émergence de véritables concurrents, capables de court-circuiter Amazon sur les prix.

“Peur constante” – Officiellement, la société n’impose plus de clause tarifaire depuis 2019. Dans les faits cependant, avance la FTC, elle dispose de sanctions qui dissuadent les vendeurs tiers d’offrir des prix plus bas ailleurs. Par exemple, ces derniers peuvent être exclus de la “boîte d’achat”, le bouton jaune qui permet d’acheter directement un produit. Ou alors apparaître beaucoup plus bas dans les résultats de recherche. Selon la FTC, les dirigeants d’Amazon reconnaissent, en interne, que les marchands vivent “dans une peur constante” de sanctions qui feraient plonger leurs ventes. Le régulateur estime aussi que le groupe pousse les vendeurs à acheter de la publicité afin d’être visibles. Et à souscrire à son offre de logistique (FBA), afin d’être éligibles à la livraison gratuite en deux jours.

Démantèlement – La plainte du gendarme de la concurrence va beaucoup plus loin que la procédure ouverte il y a trois ans par la Commission européenne, qui a débouché fin 2022 sur un compromis, permettant à Amazon d’éviter une amende. Devant la justice, la FTC pourrait avoir fort à faire. Les lois antitrust américaines sont en effet relativement favorables aux entreprises, car elles imposent de démontrer un préjudice pour les consommateurs. Il faudra ainsi prouver que la relation entre Amazon et les marchands entraîne véritablement une hausse généralisée des prix et une dégradation du service. Des éléments déjà réfutés par le géant américain. En cas de défaite, celui-ci pourrait être contraint de modifier ses pratiques. Il risque aussi un démantèlement, une mesure qui semble cependant peu probable.

Pour aller plus loin:
– Aux États-Unis, Google affronte un procès historique
– Comment la CMA est devenue la nouvelle bête noire des géants de la tech


No Comments Yet

Comments are closed

Contactez-nous  –  Politique de confidentialité