Par , publié le 22 mars 2023

Dans le monde de l’Uber-économie, Just Eat Takeaway fait figure d’exception. Contrairement à ses rivales, la plateforme néerlandaise de livraison de repas a en effet décidé de salarier la plus grande partie de ses livreurs. Un choix que Jitse Groen, son fondateur et patron, justifiait début 2021 par la volonté de sortir d’un modèle bâti “au détriment des travailleurs”. Deux ans plus tard, pourtant, la société entame un revirement stratégique majeur. Mardi, elle a annoncé qu’elle renonçait à salarier ses livreurs au Royaume-Uni pour basculer à nouveau vers le recours aux travailleurs indépendants, qui permet de limiter les coûts et d’accroître la flexibilité du service. En conséquence, elle va licencier près de 1.900 personnes dans le pays.

Salaire minimum – En plein débat sur le statut des livreurs, Just Eat avait choisi d’aller à contre-courant du secteur, aussi bien pour se démarquer auprès des consommateurs que pour fidéliser sa main-d’oeuvre. La société promettait alors des milliers d’embauches dans une quinzaine de pays européens – 4.500 par exemple en France. Le pari était ambitieux car il impliquait des coûts plus élevés pour garantir un salaire minimum, des congés payés et une couverture santé à ses livreurs. Il incluait aussi une part de risque: en rémunérant leurs travailleurs à la course, ses rivaux n’accusent pas de pertes en cas d’activité plus faible qu’anticipé. Ces derniers mois, Just Eat avait commencé à faire marche arrière: en France, par exemple, elle avait renoncé au salariat dans la majorité des villes.

Lourdes pertes – La volte-face au Royaume-Uni est cependant inédite par son ampleur. Elle intervient dans un contexte économique beaucoup moins porteur pour les plateformes de livraison, touchées notamment par l’envolée de l’inflation qui se répercute sur leur niveau d’activité. L’an passé, le nombre de livraisons effectuées par Just Eat a ainsi reculé de 9%. Et la société reste fortement déficitaire: en 2022, elle a accusé une perte nette supérieure à un milliard d’euros – hors charges de dépréciation liées à plusieurs acquisitions, comme celle de son concurrent américain Grubhub. À l’image de Deliveroo, qui vient de mener un plan social, Just Eat doit désormais mettre l’accent sur la rentabilité, en particulier face à la chute vertigineuse de son action: -84% depuis octobre 2020.

Directive européenne – Le groupe néerlandais n’a pas encore communiqué sur le sort de ses livreurs dans les autres pays européens. Mais son annonce devrait fournir des arguments supplémentaires aux plateformes de VTC et de livraison, enfin délestées d’un embarrassant contre-exemple. Depuis des années, Uber et ses rivaux assurent en effet qu’ils ne peuvent pas embaucher leurs chauffeurs et leurs livreurs, car cela se traduirait par des surcoûts importants et menacerait la flexibilité nécessaire à leur fonctionnement. Les difficultés de Just Eat semblent leur donner raison. Elles pourront être mises en avant dans la bataille qui se joue à Bruxelles autour d’un projet de directive européenne qui prévoit de généraliser le statut de salarié. Uber milite, lui, pour un statut hybride.

Pour aller plus loin:
– Uber remporte une bataille décisive aux Etats-Unis… mais reste menacé en Europe
– En Espagne, les livreurs de repas devront désormais être salariés


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