La date n’a pas été choisie au hasard. Et illustre l’enjeu géopolitique de l’événement. Le 25 septembre, Huawei va officiellement présenter le Mate 60 Pro, son premier smartphone 5G depuis l’entrée en vigueur des sanctions américaines en 2020. C’est deux ans jour pour jour après la libération de Meng Wanzhou, la fille du fondateur Ren Zhengfei, arrêtée puis placée en résidence surveillée au Canada pendant trois ans, à la demande des autorités américaines qui l’accusaient d’avoir contourné l’embargo contre l’Iran. L’ancienne directrice financière, qui assure pour quelques jours encore la présidence tournante de la société, avait eu le droit à un retour triomphal. Pour Huawei, comme pour Pékin, le Mate 60 Pro n’est ainsi pas qu’un simple smartphone. C’est une revanche sur Washington. Et un avertissement aussi.
Bond technologique – Dans son invitation, Huawei promet de dévoiler de nombreux produits. Mais tous les regards seront tournés vers son dernier smartphone, au cœur de nombreuses spéculations depuis son lancement en toute discrétion fin août. En plus d’être compatible avec la 5G, l’appareil est surtout équipé du premier système sur puce (SoC) gravé, à grande échelle, en 7 nm par un producteur chinois – SMIC, le premier fondeur du pays –, affirme le cabinet TechInsights. Un bond technologique majeur pour le pays, limité depuis près d’un an par les États-Unis dans sa capacité à acheter des puces avancées et les équipements nécessaires à leur production. Un bond qu’aucun observateur du secteur n’avait anticipé, estimant que les spécialistes chinois comptaient des années de retard sur les groupes étrangers.
Seulement deux ans de retard – Depuis fin août, les progrès rapides de la Chine suscitent le scepticisme. Mais le cabinet SemiAnalysis se montre, lui, très impressionné. La puce, conçue par la filiale HiSilicon de Huawei, est “techniquement incroyable”, explique-t-il dans une analyse publiée la semaine dernière, soulignant qu’elle ne compte pas quatre ou cinq générations de retard, comme certains le pensent. Elle affiche des performances de puissance et de consommation d’énergie similaires aux SoC lancés il y a deux ans par Qualcomm, dont les gravures sont plus fines. Le processus de fabrication qu’aurait utilisé SMIC est “meilleur que la plupart des gens en Occident ne le réalisent”, assure SemiAnalysis. Le cabinet remet aussi en cause les doutes sur le taux de rendement et sur les capacités de production.
Échec des sanctions – Encore plus impressionnant, SemiAnalysis estime que SMIC pourra bientôt réaliser des gravures en 5 nm pour un surcoût de seulement 20%, même sans système de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême, dont l’exportation vers la Chine est interdite. Une évolution “inquiétante”, estime le cabinet, qui illustre les failles, voire l’échec, des sanctions. Celles-ci n’ont pas dissuadé SMIC de fournir des puces à Huawei, sans autorisation de Washington. Ni empêché l’industrie chinoise d’être capable de fabriquer 90% des composants d’un smartphone haut de gamme, comme le Mate 60 Pro. En outre, l’embargo sur les machines serait inefficace, selon SemiAnalysis: les outils utilisés pour graver en 28 nm, la limite fixée par les États-Unis, permettent aussi de graver en 7 nm.
Pour aller plus loin:
– Meng Wanzhou prend la tête d’un Huawei redevenu ambitieux, mais toujours menacé
– En Chine, Apple n’est plus épargné par les autorités