Par , publié le 8 janvier 2024

Il avait fallu deux ans pour trouver un accord. Mais il aura suffi d’une semaine pour que tout soit remis en cause. Fin décembre, plusieurs pays, dont la France, se sont en effet opposés au projet européen de réglementation des conditions de travail de l’Uber-économie. Un texte qui prévoyait notamment d’accorder le statut de salariés aux chauffeurs de VTC et aux livreurs de repas, aujourd’hui considérés comme des travailleurs indépendants. Cela leur aurait permis de bénéficier d’un salaire minimum, de congés payés et d’une protection sociale. Jusqu’à 5,5 millions de personnes, sur un total de 28 millions, auraient pu être concernées par ces nouvelles règles, selon les estimations de Bruxelles. Le coût pour Uber, Deliveroo et les autres sociétés du secteur aurait pu atteindre 4,5 milliards d’euros par an.

Présumés employés – Popularisé par Uber, le recours aux travailleurs indépendants a été répliqué sur de nombreux secteurs d’activité, de la livraison de repas aux tâches ménagères. Cette économie des petits boulots repose sur une main-d’œuvre bon marché – rémunérée à la tâche sans garantie de revenus ni avantages sociaux –, abondante et flexible. Le projet de directive prévoyait que les travailleurs soient “présumés” employés si la plateforme fixe leur niveau de rémunération, supervise leur travail ou ne leur permet pas de choisir leurs horaires. Selon les plateformes, cela se serait traduit par une hausse des coûts et par un manque de souplesse, nécessaire pour absorber des pics d’activité. Elles prédisaient ainsi des prix plus élevés, des temps d’attente plus longs et des fermetures dans les petites villes.

“Reclassements massifs” – Dès le départ, la France faisait partie des sceptiques, se montrant sensible aux arguments des entreprises de VTC et de livraison. Cela n’avait pas empêché la tenue de négociations tripartites, sous l’impulsion de la présidence espagnole de l’Union européenne, particulièrement en pointe pour renforcer les droits des chauffeurs et livreurs. Les discussions les plus longues ont porté sur les critères à prendre en compte pour que les travailleurs soient “présumés” employés. Mais pour Paris, le texte de compromis est “très différent” du mandat qui avait été confié aux négociateurs représentant le Conseil, explique le ministre des transports Olivier Dussopt. Et d’ajouter que ces règles “permettraient des reclassements massifs, y compris de travailleurs indépendants qui apprécient leur statut”.

Avenir incertain – Après ce premier échec, une nouvelle version va devoir être renégociée entre les institutions européennes. Mais l’avenir du projet apparaît désormais incertain. D’abord, parce que l’Espagne vient de laisser la présidence de l’UE à la Belgique, qui n’a pas inscrit le sujet dans son programme. Ensuite, et surtout, parce que le temps presse avant les élections européennes de juin. La prochaine Commission et le prochain Parlement pourraient prendre une nouvelle direction. En attendant, les acteurs du secteur vont pouvoir reprendre leur intense campagne de lobbying. Ils espèrent toujours imposer la “troisième voie” proposée par Uber: un statut hybride, comme au Royaume-Uni, capable de réconcilier la nécessité de préserver leur modèle économique avec celle de mieux protéger les chauffeurs et livreurs.

Pour aller plus loin:
– Comment Uber est enfin devenu rentable
– Just Eat renonce de plus en plus à salarier ses livreurs


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