Les signaux semblaient positifs. Mais la réalité financière a fini par rattraper Ynsect, un mois seulement après avoir franchi une étape majeure dans son développement industriel. La semaine dernière, le spécialiste de l’élevage de vers de farine s’est en effet placé sous procédure de sauvegarde devant le tribunal de commerce d’Evry, ce qui va lui permettre de suspendre ses créanciers pendant au moins six mois. Le temps, espère-t-il, de concrétiser des “discussions avancées avec un certain nombre d’investisseurs”. Bientôt à court de liquidités, la start-up affiche des pertes colossales. Et elle n’a plus les moyens de poursuivre son projet d’usine et d’assumer ses immenses dettes. Elle paie des ambitions visiblement trop grandes, une approche financière hasardeuse et aussi plusieurs revirements stratégiques.
Lourdes pertes – Lancé il y a treize ans, Ynsect élève des larves de scarabée Molitor dans des fermes verticales, c’est-à-dire dans des bacs entreposés les uns au-dessus des autres. Celles-ci sont ensuite transformées en poudre ou en huile, servant à fabriquer de la nourriture pour les animaux de compagnie ou des engrais. Depuis son lancement, la start-up a levé environ 600 millions d’euros, notamment pour financer la construction d’une usine à Poulainville, près d’Amiens. Si ses dirigeants revendiquent un carnet de commandes bien rempli, le chiffre d’affaires de l’entreprise reste dérisoire. Entre 2020 et 2022, la start-up n’a vendu que pour 1,2 million d’euros de marchandises, principalement en France. Sur la même période, ses pertes ont été supérieures à 150 millions. L’an passé, Ynsect avait dû mener un plan social.
200.000 tonnes – Ces difficultés financières proviennent en partie des retards pris à Poulainville. Alors que la première pierre a été posée au printemps 2021, le site tourne toujours au ralenti. La production d’engrais n’a commencé qu’en début d’année. Celle de nourriture animale qu’en août. Les volumes restent très éloignés de la capacité de 200.000 tonnes d’ingrédients et d’engrais par an. Ce niveau de production ne permet pas “d’assurer la rentabilité de l’entreprise”, reconnaît ainsi Ynsect. La société aurait cependant pu éviter ces problèmes en ne voyant pas aussi grand, alors que son site pilote ne disposait que d’une capacité de 400 tonnes. La taille de l’usine a créé de nombreuses complications dans l’automatisation de la production. Et dans le système de refroidissement, pour éviter une surmortalité des larves.
Alimentation humaine – Le choix de construire une usine aussi grande s’expliquait par la volonté de produire des protéines pour nourrir des poissons d’élevage, un marché qui réclame beaucoup de volumes. Mais la start-up a finalement abandonné ce débouché, estimant que ses marges étaient trop faibles pour être véritablement rentable. Le projet de Poulainville était, lui, déjà lancé. Impossible donc de faire marche arrière. Ce changement de cap n’est pas isolé. Au départ, Ynsect visait l’alimentation humaine. Un projet délaissé, puis redevenu d’actualité – notamment avec le rachat de la start-up néerlandaise Protifarm, dont les larves Buffalo étaient utilisées pour fabriquer des hamburgers, des pâtes ou encore des barres protéinées. Et de nouveau mis en pause… malgré les 25 millions d’euros dépensés dans cette acquisition.
Pour aller plus loin:
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