Longtemps, les géants technologiques américains ont redouté Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, à l’origine de plusieurs amendes d’envergure. Ils ont ensuite pris peur lors de la nomination de Lina Khan à la tête de la Federal Trade Commission (FTC). Mais ils craignent désormais Sarah Cardell, la nouvelle directrice de la Competition and Markets Authority (CMA), le gendarme britannique de la concurrence qui multiplie les coups d’éclat, se montrant souvent bien plus strict que ses homologues. Dernière illustration en date: le projet de rachat d’Activision Blizzard par Microsoft pour 69 milliards de dollars. Fin avril, Londres a rejeté les remèdes proposés par l’éditeur de Windows, bloquant l’opération, quand Bruxelles les a considérés comme suffisants.
Brexit – Jusqu’en 2020, le rôle de la CMA était limité par le fonctionnement des institutions européennes, qui prévoit notamment que les grosses acquisitions soient validées par la Commission. Depuis le Brexit, le gendarme britannique a retrouvé ces prérogatives, qu’il a fait jouer à de nombreuses reprises. Il a ainsi exigé que Meta revende Giphy, dont le rachat n’a posé problème à aucune autre autorité de la concurrence. Il s’est aussi opposé au rachat d’Arm par Nvidia, poussant le fabricant de cartes graphiques à jeter l’éponge. Et il a ouvert des enquêtes approfondies sur les acquisitions d’iRobot par Amazon, de VMWare par Broadcom ou encore de Figma par Adobe. La CMA souhaite aussi s’attaquer à l’emprise d’Apple et de Google dans le mobile, même si une partie de son enquête vient d’être invalidée.
Procédure d’appel – L’hyperactivité de la CMA s’inscrit dans la volonté des régulateurs de mieux lutter contre la domination de quelques grands groupes technologiques. Mais le gendarme britannique se distingue par son rejet des remèdes comportementaux, c’est-à-dire de conditions ou engagements répondant aux problématiques de concurrence. Il privilégie des remèdes structurels ou des cessions d’actifs. Par ailleurs, la CMA est plus puissante que les autres autorités de la concurrence. Aux États-Unis, la FTC ne peut pas bloquer une opération, mais peut simplement saisir la justice. En Europe, la Commission peut être déjugée par la Cour de Justice. Au Royaume-Uni, une procédure d’appel existe bien. Mais elle place la barre très haut et n’aboutit quasiment jamais.
Nouveaux pouvoirs – En 2021, la CMA s’est aussi dotée d’une nouvelle unité d’enquête exclusivement dédiée au secteur du numérique. Et qui devrait très bientôt bénéficier de prérogatives renforcées. Fin avril, le gouvernement britannique a en effet présenté un projet de loi, allant encore plus loin que le Digital Markets Act européen. Si le texte est adopté par le Parlement, ce qui semble devoir être le cas, la CMA pourra alors établir de nouvelles règles pour l’ensemble des entreprises tech occupant une “position de marché stratégique”, dans le but de renforcer la concurrence. Elle pourra également imposer des remèdes structurels à une société qu’elle juge en position dominante. La CMA aura aussi la possibilité d’infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial.
Pour aller plus loin:
– Le rachat d’Activision par Microsoft bloqué par les autorités britanniques
– Comment Amazon va éviter une lourde amende en Europe